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le blog des débats d'idées

26 avril 2007

ISLAM EN FRANCE: Un rapport explosif

par: Jean Baubérot

La France a un probleme avec ses musulmans, mais ce n'est pas celui qu'elle croit" ainsi commence un rapport explosif de International Crisis Group, groupe d'experts internationaux ( occidentaux, en fait) de haut vol suite a une enquête dont la conclusion étonnera plus d'un (mais sans doute pas celles et ceux qui ont lu des études sociologiques sur le sujet) : en effet, selon le ICG, les musulmans en France sont beaucoup plus individualistes qu'on ne le croit, par contre il existe un "communautarisme autoritaire de la Republique".

Ce rapport n'est pas écrit par des militants pro-islamiques ni par de "naifs" (pretend on) intellectuels mais par des personnes expertes qui examinent, pour les "élites" occidentales et leurs gouvernements, les diverses tensions qui existent dans la planete et les divers moyens de les prévenir et de les limiter. Autrement dit ses auteurs n'ont aucune complaisance (c'est le moins que l'on puisse écrire) pour l'islamisme radical. Simplement  leur rapport n'est pas un produit mediatique ou l'on repete des stéréotypes qui font vendre parce qu'ils font peur, il est destiné aux décideurs. Mais votre Blog favori a décidé que vous etes tous des décideurs, et donc il va vous en donner la 'substantifique moelle'.

Le rapport commence par indiquer que la révolte des banlieues de l'automne dernier n'est nullement due a un "choc des civilisations", mais provient des discriminations socio-economiques, de la présence de l'Etat toujours plus coercitive, des campagnes politiques et médiatiques contre certains representants musulmans (le rapport note l'existence de 6 ouvrages contre Tarik Ramadan) et l'échec des diverses formes de représentation politique.

Apres avoir retracé brievement l'histoire (différente insistent les auteurs) de l'islam et des musulmans en France et note que, pour ces derniers, l'expérience de l'insertion va être bien souvent une expérience de la discrimination, le rapport en vient au présent marqué, dit-il, par "l'épuisement de l'islamisme politique". Attention, il importe de bien noter ce que, en accord avec les sciences politiques, les auteurs qualifient d'islamisme politique: il s'agit d'un activisme de groupes qui ont une vision précise du politique, une action politique pratique et sont organisés en mouvement social ou parti politique.

Le rapport remarque que les autorites francaises ont craint que cet islam politique soit un vecteur de radicalisation, or c'est exactement l'inverse qui s'est produit: les déclin de l'islam politique a favorisé d'une part la révolte des banlieues, d'autre part le jihadisme radical. Ainsi un mouvement comme l'UOIF a renoncé progressivement a une stratégie conflictuelle pour s'engager dans une stratégie de reconnaissance et émettre un discours toujours plus orienté vers les classes moyennes et éduquées.  Cette Union des Organisations Islamique des France, qui revendique de regrouper environ 250 associations a mécontenté sa base par sa modération. Les principaux reproches qui lui sont faits sont l'approche humanitaire de la question palestinienne, son profil bas face a la loi du 15 mars 2004 sur les signes ostensibles,  sa discrétion relative dans l'affaire des caricatures.

Par ailleurs, sur le plan religieux, l'UOIF évolue vers une vision plus souple du dogme, la promotion de valeurs individualistes et l'attestation religieuse de la reussite sociale. La capacité de mobilisation de l'UOIF -manifestée chaque année notamment par le grand rassemblement qu'elle organise au Bourget, est plus socio-culturelle  que politique. On va vers une prise d'autonomie de l'islam de France. La notion de "sharia des minorites" de l'imam de la mosquée de Bordeaux et celle de "foi engagée" (qui couple la foi et l'engagement citoyen, pas forcement religieux et politiquement de gauche) de Tariq Ramadan, vont dans le meme sens.

Divers mouvements, et notamment l'UJM (l'Union des Jeunes Musulmans, proche de T. Ramadan) occupent une position médiane entre l'intégration forcée et exclusion; ils cherchent a defendre le cadre islamique tout en respectant le cadre republicain.  Des sources européennes de l'islam sont egalement recherchées. Mais, note le rappport, au même moment commence la guerre civile en Algerie, le FIS (Front Islamique du Salut) cherche a s'implanter en France et cela sème la confusion. Par ailleurs, un acces de fixation s'effectue sur le port du foulard et, en France (contrairement a tous les autres pays démocratiques ajouterai-je) le port du foulard va se trouver automatiquement lié par l'ideologie dominante à un radicalisme islamique.

Bref, la revendication d'islam étant de plus en plus lourde a porter socialement, inversement des mosquées et salles de prières finissant peu à peu par se créer, cet islam politique s'essoufle (je dirai aussi qu'il apparait entre 2 chaises, puisque les medias font comme s'il s'agissait d'un mouvement extremiste alors que ce n'est pas du tout le cas, et au contraire des jeunes ont l'impression d'etre "trahis" par des militants trop 'moderes', alors que la culture mediatique ne pousse ni a l'accommodement ni a la patience).

Il se produit donc une nouvelle sécularisation de la militance (la premiere etait celle de la "Marche des beurs pour l'egalite", en 1983 et le mouvement Beur important pendant les annees 1980) ou des mouvements proposent une claire division du travail dans la lignée d'une separation entre religion et politique. Le rapport cite notamment l'Aube, proche de l'UJM qui, depuis 2001 se concentre sur des programmes sociaux et les Indigènes de la république qui dénoncent les formes resurgentes de gestion coloniale des populations des citées.

Ce rapport indique aussi que l'épuisement de l'islamisme politique coincide avec la montée du salafisme ou il existe une "attente messianique" (on qualifie ainsi l'attente d'une régénération a la fin des temps). Ce salafisme existe sous deux formes différentes, d'abord le salafisme shaykhiste et ensuite le jihadisme.

Le salafisme shaykhiste prone une vision apolitique et non violente de l'islam, fondée sur la volonte d'aligner sa vie sur les fatwas de savants saoudiens. Il n'a pas, dans ce mouvement fondamentaliste, de contestation de l'autorité politique car on craind l'anarchie. la solution proposée est la "hijra" (en reference a la démarche adoptée par le prophete Muhammad lui même), porte de sortie theologique, voire politique dans certains cas, a multiples usages. On peut, pense-t-on, régler la question palestienne par une hijra vers les pays du Golf; régler le probleme des discriminations en France par une hijra vers les pays musulmans,  régler l'autoritarisme de pays musulmans par une hijra vers des sociétés occidentales non répressives.

Le rêve de la hijra se realise rarement, faute de moyens notamment, mais il place le musulman, et notamment le jeune, dans une position attentiste, avec le mythe d'appartenir a la "communautee sauvée". Il s'en suit, non une contestation radicale mais une dépolitisation, l'etouffement des engagements civiques et citoyens, voire professionnels et scolaires et une érosion du rapport aux institutions.

C'est avec le Tabligh, seul courant islamiste d'apres nos auteurs a avoir encore une action significative en France dans les banlieues, que la rivalité est la plus forte.

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